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À Genève, la mobilité douce annonce-t-elle une ville sans voiture?

Un réseau de train transfrontalier, des vélos partagés, des pistes cyclables élargies, un plan climatique ambitieux et une volonté affichée de diminuer le trafic automobile, Genève dévoile les contours de sa mobilité de demain.

Menée conjointement par la ville et le canton, une opération a changé la mobilité genevoise en une nuit, au printemps 2020. L’installation de pistes cyclables larges au centre de la ville s’est effectivement concrétisée en un temps record et si elles devaient être temporaires pour permettre de désengorger les transports publics en temps de pandémie, une bonne partie d’entre elles se sont pérennisées.

Aménagement cyclable pendant le premier confinement. Genève.  (KEYSTONE/Martial Trezzini)

Ces modifications suivent la tendance occidentale vers la mobilité douce qui implique une empreinte carbone moindre et privilégie les vélos et les transports en commun. Au-delà de l’aspect urbanistique, il faut aussi compter sur les avancées technologiques qui se préparent à débarquer dans nos rues.

La mobilité de demain, un défi technologique

Dans le développement des transports en commun, on a vu apparaître à plusieurs endroits de Suisse des navettes autonomes. Elles peuvent accueillir environ une dizaine de personnes par véhicule. Ici à Genève, le déploiement des navettes couvre les 36 hectares du domaine hospitalier de Belle-idée. La ligne n’est pas encore en service, le travail de cartographie complète de la zone est encore en cours.

Une navette autonome des Transports Publics Genevois. (KEYSTONE/Salvatore Di Nolfi)

Les TPG (Transports Publics Genevois) développent ici un service « porte-à-porte » grâce à une application qui permet d’indiquer où l’on se trouve et où l’on veut aller. Pour Jeroen Beukers, en charge de projet, les véhicules autonomes ne sont pas amenés à remplacer les grandes lignes de bus ou de tram. Il les imagine dans des zones peu desservies afin de relier les usagers vers les grands axes de transports publics.

« Actuellement la loi ne nous permet pas de rouler sans opérateur à bord. Et ça, c’est quelque chose qu’on aimerait vite changer »

Jeroen Beukers, expert en véhicules autonomes au sein des Transports publics genevois.

Pour le moment, les véhicules autonomes sont accompagnés d’un opérateur à bord. Une modification des lois fédérales de circulation permettrait de voir ces navettes devenir réellement autonomes. Des discussions sont actuellement en cours entre les offices cantonaux des transports et la Confédération.

Au-delà du clivage partisan

Pour Vincent Kauffman, professeur de sociologie urbaine à l’EPFL, si Genève, comme le reste de la région, n’est pas à la pointe de la mobilité de demain, il faut quand même relever que la ville s’améliore plutôt vite. C’est, selon lui, le courage politique qui fait la différence, et les décisions prises pendant la crise du Covid concernant les pistes cyclables en sont un bon exemple. Les défenseurs de l’automobile s’étaient empressés de réagir et avaient même manifesté motorisés au centre-ville.

Aujourd’hui, les pistes cyclables sont restées, et la polémique qu’elles ont créée a fini par se dégonfler. Mais dans certains agendas, ce n’est que le début. Et si les conditions devaient se présenter, les plus fervents partisans de la mobilité douce iraient encore plus loin. Interrogé l’année dernière, Remy Pagani, conseiller administratif Ensemble à Gauche jusqu’en mai 2020,  envisageait qu’un basculement à gauche des autorités cantonales accélérerait la transition vers une mobilité vraiment durable. Un basculement finalement opéré pour l’exécutif il y a quelques semaines, et dont on ressent déjà les effets. Le Conseil d’État vient de présenter son plan climatique d’ici à 2030. Si ce plan a été préparé depuis plusieurs mois, il n’empêche qu’il affiche une volonté forte et partagée par tous les membres de l’exécutif de repenser la mobilité Genevoise.

Le Conseil d’État a donc proposé 41 mesures. Les plus notables sont la suppression du trafic automobile de 40%, la réduction de 60% des gaz à effet de serre et l’atteinte du seuil de 40% de véhicules électriques. Réuni devant la presse dans son entièreté, l’exécutif a clairement affiché son envie unitaire de voir la mobilité urbaine évoluer.  Le vélo sera donc aussi mis en avant, Antonio Hodgers, conseiller d’État vert en charge du territoire rappel que certaines villes scandinaves ont déjà atteint un seuil de 30% de citoyens cyclistes. À Genève nous sommes autour des 9%, dit-il, avant de conclure que bientôt nous pourrions rejoindre Bâle et ses 15%. Les ambitions du Conseil d’État devront se transformer, pour la plupart d’entre elles, en loi et nécessiteront donc l’appui du grand conseil et sa majorité de droite.

« Ce qu’il faut c’est une bonne politique de transport. Il faut que toute la région urbaine soit bien adaptée et pas que le centre-ville. »

Vincent Kaufman, Professeur en sociologie urbaine et mobilité, EPFL

Mais aujourd’hui, la mobilité douce n’a plus besoin d’une majorité écologiste pour avancer. Ce changement politique est en partie dû, selon Vincent Kauffman, à des pesées d’intérêts qui vont plus loin que les logiques partisanes. Les petits commerçants verraient aujourd’hui les avantages des zones piétonnes et les PME défendues par la droite auraient intérêt à voir une ville décongestionnée par des projets de mobilité douce.

Manifestation pour la piétonnisation du quartier de St-Gervais, janvier 2020. (KEYSTONE/Martial Trezzini)

La récente votation à Genève qui portait sur la suppression de 4000 places de parking en ville montre aussi que la population semble prête à changer ses habitudes. En effet 58% des Genevois ont accepté cette initiative qui vise à donner plus d’amplitude aux ambitions de mobilité douce. La population a donc voté contre le projet de loi qui demandait le remplacement de chaque place de parking supprimée. Ce remplacement des places de parking ralentissait les initiatives vers une ville qui imagine cantonner les voitures aux périphéries. Cette votation est le fruit d’une attitude citoyenne qui, encore selon Vincent Kauffman, va contaminer les petites villes.

La ville sans voiture est un horizon désirable pour certains, mais c’est surtout l’intégration de la mobilité douce et sa priorisation dans le trafic routier qui se dessine. Même au sein d’associations piétonnes, on ne croit pas à une ville sans voiture, comme Patrick Lacourt, de Mobilité Piétonne à Genève, qui préfère une ville où les partages de zones et de priorités sont bien délimités.

 AUDIO « La ville sans voiture, je n’y crois pas » Patrick Lacourt, Mobilité Piétonne

LL Bridge Cliver – · Patrick Lacourt, Mobilité Piétonne, Genève

La ville sans voiture, parquée dans l’imaginaire

La mobilité douce avance de plus en plus vite, mais la ville sans voiture semble  encore très loin. Si penser le futur permet d’interroger le présent comme dans la science-fiction il semblerait intéressant de chercher des réponses dans ce genre. Marc Attalah est expert de la SF et directeur du musée qui lui est consacré à Yverdon, il explique que la voiture est encore très présente dans ce genre futuriste. Ce qui change, c’est le type de voiture. Les voitures volantes, au même titre que les véhicules autonomes sont très présents dans la science-fiction. Ils y sont le symbole d’une société qui s’améliore d’un point de vue technologique et servent à régler les problèmes de mobilité. Ils sont aussi des reflets de nos ambitions en tant qu’individus et en tant que société.

VIDEO « La voiture autonome, c’est une dépossession de l’humain » Marc Attalah, Maison d’Ailleurs, Yverdon

Texte et multimédia : Léo Wadimoff

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