21C

Des ananas suisses : c’est pour quand ?

Des pastèques, du riz ou encore des olives suisses, cela peut paraître futuriste et pourtant ces cultures existent déjà dans notre pays. En raison notamment du changement climatique, les agriculteurs ne cessent de renouveler leurs pratiques pour affronter ces nouveaux défis. Enquête 

Une rizière, comme dans les plus belles régions d’Asie, sauf qu’elle se trouve dans le Vully. C’est le pari fou de la famille Guillod à Môtier. Depuis 2019, elle fait pousser sur ses terres fribourgeoises le « Premier Riz du Vully ». Cette production immergée se calque sur le savoir-faire chinois, ce qui n’est pas commun sur terres helvétiques. En effet, cela fait plus de 20 ans qu’on produit du riz dans nos contrées et notamment au Tessin mais la céréale pousse à sec, comme du blé. « Il y a quatre conditions pour produire du riz immergé en Suisse : se trouver sur le Plateau, avoir de l’eau en quantité quasi illimitée, travailler sur un terrain plutôt plat avec une terre lourde », explique Léandre Guillod, co-fondateur du « Premier riz du Vully ». Le changement climatique permet de cultiver cette céréale au nord des Alpes puisqu’elle a une croissance acceptable à partir de 20 degrés. « Il y a 50 ans, nous n’aurions jamais pu faire pousser cette plante dans le Vully », poursuit le producteur. « Ces dernières années, nous avons diminué les quantités de doucette en été, car cela devient trop risqué et nous complétons finalement avec le riz, qui préfère le climat chaud. » Pour la famille Guillod, cette nouvelle culture ne va pas remplacer sur le moyen terme celle de doucette. En effet, à ce jour, le riz ne représente que 10% de leur chiffre d’affaires.

Salade de fruits jolie, jolie, jolie

Outre le riz, d’autres espèces ont fait leur apparition en Suisse. « Pour le moment, nous ne sommes pas encore à de grosses productions de citronniers. On n’a pas encore de mangue, ni d’ananas », indique Danilo Christen, ingénieur agronome à l’Agroscope. Par contre, il y a des plantes qui migrent timidement sur le continent européen, comme l’avocatier. « Je ne pense pas que nous allons cultiver de nouvelles espèces avant 2050. Ce seront plutôt des adaptations variétales qu’une adaptation par les espèces », commente l’ingénieur. Et pourtant, il n’est pas rare de découvrir de nouveaux produits étiquetés ‘suisses’ dans les magasins. « On voit des oliviers plantés en pleine terre à près de 400 mètres d’altitude qui se sont acclimatés durant 2 ans et qui sont toujours là », s’étonne Monique Baechler, responsable de la production florale à Grangeneuve, le centre de compétence agricole du canton de Fribourg. « Certaines cultures ne pouvaient pas se faire il y a 20 ans. On le peut désormais grâce à cette douceur en hiver », Urs Gfeller, maraîcher bio, cite comme exemple la patate douce. Il en cultive depuis 5 ans sur son exploitation de Sédeilles, dans le canton de Vaud, car « il existe des variétés qui résistent plus au froid mais le réchauffement climatique reste un élément clef qui permet la culture ». Pour faire pousser de la patate douce, il faut du temps et de la chaleur. « L’allongement de la saison est primordial », ajoute Urs Gfeller.

Un aubergine suisse de l’agriculteur bio Stephan Mueller, le 12 septembre 2020 dans le canton de Zurich.

AUDIO : Le cumul des journées d’ensoleillement est une donnée importante pour les agricultures.

C

Dans ses champs, il fait pousser près de 270 espèces chaque année. Parmi celles-ci, on retrouve notamment des pastèques, des melons, des aubergines et des poivrons. Le maraîcher vaudois n’est pas le seul à se lancer dans de nouvelles espèces. Selon Béatrice Rüttimann, porte-parole de Swissfruit l’interprofession du secteur fruitier du pays, le potentiel des nouvelles cultures comme les kiwis, les raisins de table ou encore les amandes, sont « en constante augmentation grâce au réchauffement climatique ».

Des olives poussent en Suisse depuis plusieurs années, comme ici en 2013 près de Lugano.

Bien que cela puisse paraître fantasque d’imaginer des cultures de bananiers dans les champs suisses à l’avenir, la migration des plantations devient de plus en plus un phénomène envisagé, avec son lot de perdants. On imagine volontiers que les plantations du nord de l’Italie ou du sud de la France puisse gentiment arriver chez nous, comme les oranges et les olives. « Si ça continue comme ça, dans 20, 30 ou 40 ans, les cultures pourraient remonter », conçoit Urs Gfeller. Par contre, il faut avoir conscience que ce décalage géographique impacterait également des espèces cultivées actuellement en Suisse. « Il y a certaines plantes qui souffrent du changement climatique. Je pense notamment aux choux et aux poireaux, des légumes typiques d’hiver », poursuit le maraîcher bio. De là à ne plus pouvoir les cultiver dans nos champs ? « Avant de disparaître, ces légumes d’hiver pourraient migrer en altitude ou au nord. On dit que 100 mètres de différence d’altitude représentent une semaine de décalage dans la saison », affirme-t’il.

CARTE : Depuis 1985, plusieurs milliers d’hectares de surfaces agricoles sont devenus improductifs. Le Tessin et les Grisons sont les cantons les plus touchés.

En une trentaine d’années, de nombreuses parcelles en Suisse ne sont plus productives, à cause notamment du dérèglement climatique. (Office fédéral de la statistique)

La betterave, victime du changement climatique

Au-delà des nouvelles espèces, les producteurs doivent également adapter leurs méthodes de travail. Urs Gfeller peut de plus en plus faire pousser ses fruits et ses légumes en plein champ et non dans les serres. Son seul problème reste la pluie. « Il faut donc que je protège certaines cultures. » Pour Noémie Uehlinger, sélectionneuse chez Sativa, « le défi climatique à venir ce n’est plus de créer des plants qui poussent mieux avec la chaleur, mais d’en avoir qui résistent aux changements extrêmes ».

VIDEO : Les betteraviers suisses se battent pour continuer cette culture malgré les différentes maladies qui la touchent, explique Sébastien Malherbe, agriculteur à Chavornay (VD).

Certaines plantes sont en danger à cause du dérèglement climatique. C’est le cas notamment de la betterave sucrière. Chaque année, ce sont près de 800 hectares de cette culture qui disparaissent en Suisse. En cause : deux maladies transmises par le puceron vert du pêcher et la cicadelle. Ces insectes semblent de plus en plus apprécier le climat helvétique. Les températures hivernales, par exemple, ont un grand effet sur la survie des pucerons pendant cette période de l’année. « C’est clair que si les hivers doux se généralisent en Suisse, le risque d’avoir des pucerons verts du pêcher sera plus important à l’avenir », commente Basile Cornamusaz, responsable romand du centre betteravier suisse. À l’Agroscope, le centre de compétence de la Confédération dans le domaine de la recherche agronomique et agroalimentaire, les chercheurs s’occupent principalement du cas de ce ravageur car c’est lui qui attaque, pour l’instant, le plus de cultures en Suisse.

VIDEO : Floriane Bussereau, chercheuse à l’Agroscope, tente avec ses collègues de réguler les pucerons sur les parcelles infectées.

 

Se réinventer pour affronter le changement

Le monde agricole tient également à lutter contre le dérèglement climatique en adaptant leurs méthodes de travail. Pour cela, il s’appuie de plus en plus sur les nouvelles technologies, comme par exemples des drones pour traiter les cultures ou encore des panneaux solaires pour protéger des fruits. À Môtier, dans le canton de Fribourg, Léandre Guillod a lui décidé de placer des capteurs sur certaines de ses plantes de CBD afin de connaître minute par minute les besoins de sa culture et ainsi économiser des ressources, telles que l’eau. Ils sont relier à un boîtier qui contient un « tout petit ordinateur », explique Serge Ayer, professeur à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg et chef du projet Smartfarming. Le matériel est « peu gourmand en énergie et bon marché ».

AUDIO : La sonde de Smartfarming permet de capter notamment la température, l’humidité et la pression atmosphérique, explique Serge Ayer, professeur à la HEIA-FR et chef du projet Smartfarming.

C

L’agriculture utilise près de 70% de l’eau douce mondiale. Le projet Smartfarming veut optimiser au maximum cette ressource pour affronter au mieux les périodes de sécheresse, qui seront de plus en plus fréquentes selon les prévisions des experts. L’Agroscope soutient actuellement 12 projets qui vont dans ce sens. Dans le domaine de la digitalisation, on constate un développement très important, avec des images satellites, des drones, des capteurs dans le sol, etc. Pour Thomas Anken, chef du secteur production numérique au centre de recherches de la Confédération, « un univers de données est en train de se développer petit à petit et il va nous permettre de mieux gérer les cultures ». La solution actuelle est une combinaison de tous ces différents outils.

La technologie qui sauvera l'agriculture n’existe pas ! Thomas Anken, chef du secteur production numérique au centre de recherches de la Confédération

Depuis toujours, les métiers de la terre ne cessent de s’adapter à leur environnement. Le changement climatique ne déroge pas à la règle. Les chercheurs, les sélectionneurs, les semenciers, les producteurs, les maraîchers, tous ont l’habitude de vivre au rythme de la nature. Pour certains, comme Léandre Guillod, il faut saisir le réchauffement climatique « comme une opportunité pour faire de nouvelles cultures, pour se diversifier ». Pour d’autres, comme Urs Gfeller, le dérèglement climatique n’est pas vu « d’un bon œil » et « posera de plus en plus de problèmes à l’agriculture ».

Texte Cloé Pichonnat

Images Cloé Pichonnat, Camille Besse, Célia Bertholet, Sébastien Malherbe, Léandre Guillod, EPA/NIC BOTHMA,  KEYSTONE/Gaetan Bally et KEYSTONE/Ti-Press/Gabriele Putzu

Vidéos/Audios Cloé Pichonnat, Camille Besse et Célia Bertholet

read more: