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Pollution lumineuse: la nuit n’existe plus

La pollution lumineuse a plus que doublé en Suisse ces 20 dernières années. Il n’y aurait plus 1 km d’obscurité totale dans le pays. Avec l’arrivée massive des LED dans l’éclairage public, la thématique est au coeur des débats. Tout le monde n’est toutefois pas encore conscient des enjeux qui y sont liés. La Suisse peut-elle retrouver sa nuit? Une enquête d’Antoine Vullioud

“J’ai perdu mes étoiles”. Au bout du fil, une voix fragile au timbre nostalgique. Lukas Schuler est amateur d’astronomie. Mais aussi président de Dark Sky Switzerland, une organisation de près de 500 membres, qui lutte contre l’éclairement artificiel du ciel nocturne et ses conséquences sur l’homme et la nature. “La pollution lumineuse ne connaît pas de frontière. Il n’y a plus aujourd’hui de lieux où l’on peut observer une obscurité nocturne naturelle en Suisse. La situation devient inquiétante ».

Radio: Nicole Dahinden, cheffe de projet au parc Naturel du Gantrisch, perçoit la pollution lumineuse comme une épidémie

Alexander Reichenbach, spécialiste de la pollution lumineuse à l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), dresse l’état des lieux: “les émissions lumineuses vers le ciel ont plus que doublé entre 1994 et 2012 en Suisse. L’obscurité naturelle régresse de plus en plus, la lumière artificielle des villes se propageant loin dans le paysage nocturne. Cette thématique a gagné en importance ces dernières années avec l’arrivée de nouvelles technologies comme les LED”.

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©OFEV

Les LED, ou diodes électroluminescentes, ce sont ces lumières souvent bleuâtres qui sont aujourd’hui omniprésentes dans notre quotidien: natels, tablettes, ordinateurs, lampes de poches par exemple. Depuis quelques années elles conquièrent aussi massivement l’espace public remplaçant les lampes au sodium qui donnaient aux villes une couleur orange caractéristique. En Suisse romande, la plupart des communes passent en effet à la technologie LED.

Un engouement significatif qui n’est toutefois pas sans conséquences. La proportion de bleu émise par les LED augmente la diffusion de lumière vers le ciel et donc la pollution lumineuse. Pour Lukas Schuler de DarkSky Switzerland il y a aussi un “effet rebond”: les LED étant plus directionnelles et surtout meilleures marché, les villes ont tendance à en installer davantage. Avec des conséquences sur la flore et la faune notamment.

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Si la faune et la flore sont touchés par les LED et la pollution lumineuse, l’Homme n’est pas non plus à l’abri. Un excès de lumière peut notamment perturber les cycles circadiens et provoquer des troubles du sommeil.

La technologie LED est toutefois en pleine évolution. Si les premières ampoules étaient de couleurs très froides avec une forte composante UV, on trouve aujourd’hui des ampoules de couleurs plus chaudes beaucoup moins nocives. Aussi la technologie LED permet, si l’on y met le prix, de varier (ou “dimmer”) l’intensité des lampadaires et donc de réduire la pollution lumineuse. Chaque lampe pouvant être programmée individuellement, l’éclairage devient totalement modulable. Il peut alors être adapté à son utilisation. On parle d’éclairage dynamique.

“Pour moi, les LED c’est l’avenir de l’éclairage public” affirme Jean-Daniel Carrard, président de JDC Electronic, entreprise active dans l’éclairage LED dynamique. “Mais ça doit être bien réalisé. Le choix des LED est important, de même que l’installation. Alors seulement on peut avoir un impact positif sur la pollution lumineuse”.

Les conséquences sur l’environnement et sur l’Homme pourraient être évitées avec une utilisation judicieuse de la technologie. Si les recommandations fédérales sur la question de l’éclairage et de la pollution lumineuse existent, il n’y a encore aucune obligation légale. “C’est le Far West” déclare Pierre Dessemontet, municipal à Yverdon, chef du département des Energies. “En traversant le Gros de Vaud en voiture, on va rencontrer au moins dix manières d’envisager l’éclairage public. Il n’y a pas de lignes directrices. Chaque commune fait ce qu’elle veut ».

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Nombreuses sont les communes qui préfèrent délèguer la tâche de l’éclairage public. Pour Jean-Daniel Carrard, cela peut s’avérer problématique en terme de pollution lumineuse: “Certaines villes comme Yverdon ou Genève par exemple gèrent complètement leur éclairage. Elles font du sur-mesure. C’est parfait. D’autres, par contre, dépendent de grands installateurs: EOS, Groupe E,… Je ne suis pas sûr que la pollution lumineuse soit un élément important dans leurs décisions. Ils ont peut-être un excellent prix pour un lampadaire d’une certaine marque et ne réfléchissent pas plus loin”.

Si les communes et les installateurs électriques n’ont pas forcément la thématique de la pollution lumineuse comme priorité, les citoyens ne sont pas non plus toujours très réactifs aux politiques d’éclairages publics en vigueur.

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La thématique de la pollution lumineuse n’est pas encore la préoccupation de tous. Pourtant, elle a déjà fait du chemin. Plusieurs actions sont aujourd’hui réalisées pour diminuer l’éclairage artificiel et son impact.

Dans le Val de Ruz, les extinctions

Dans le Val de Ruz par exemple, plusieurs communes ont opté depuis quelques années à des extinctions de l’éclairage public durant la nuit.Le Pâquier éteint ses lumières entre minuit et 5 heures depuis 2013, Valangin entre 1h et 5h depuis 2015. Fontaines a récemment terminé une phase test d’extinction entre minuit et 5h qui a duré 6 mois. Cet essai a reçu un accueil positif de la population: selon un sondage de la commune auquel 229 personnes ont participé, 85% des sondés sont « favorables » ou « plutôt favorables » à l’extinction.

Video: A minuit à Fontaines, on éteint les lampes

A Yverdon, l’éclairage dynamique

A Yverdon, on a décidé de miser sur l’éclairage dynamique dès 2009. Huit ans plus tard, 1200 lampes LED dynamiques de températures 3000 Kelvin ont été installées dans la ville. Des lampes réglées dès le crépuscule à 10% du maximum de leur intensité et qui grâce à un système infrarouge augmentent à 100% au passage d’un passant ou d’une voiture par exemple. Avec à la clé des économies budgétaires et une diminution de la pollution lumineuse.

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©Yverdon-les-Bains Energies

“L’avantage avec la pollution lumineuse c’est qu’une fois qu’on lutte contre, les effets sont immédiats. Contrairement à la pollution atmosphérique par exemple où il faut attendre des années pour voir un résultat » explique Pierre Dessemontet, chef du département des Energies dans la ville du Nord vaudois. Le municipal mène un combat politique contre la pollution lumineuse depuis environ 20 ans: “Au début, on me riait au nez. Mais depuis quelques années le discours sur la pollution lumineuse devient mainstream”. A Yverdon, il a trouvé un terrain de jeu idéal pour prêcher la bonne parole et mener cette bataille qu’il a “envie de pousser au-delà de toute raison”: “J’espère faire figure d’évangéliste. Que les gens voient tout ce qui a été fait ici ».

Dans le Gantrisch, un parc aux étoiles

Enfin, le parc naturel du Gantrisch aimerait devenir le premier parc aux étoiles de Suisse. Un label qui garantit une certaine obscurité sur son territoire. Pour y arriver, les 22 communes du parc doivent adhérer au projet. Des workshops ont donc été organisés avec les acteurs concernés sur le sujet de la pollution lumineuse, workshops qui ont débouchés sur des plans d’action concrets à mener pour lutter contre la pollution lumineuse. Pour Nicole Dahinden  l’important est avant tout le chemin effectué plus que le label en lui-même: « On aimerait que les gens prennent conscience que la pollution lumineuse est nocive et qu’ils sachent comment la combattre, qu’ils prennent soin de la nuit ».

Audio: Pour Nicole Dahinden, du parc naturel Gantrisch, l’important c’est la sensibilisation

Les Suisses ont-ils besoin de la nuit? Pour Alexander Reichenbach de l’OFEV, il est essentiel pour la santé de l’Homme et des animaux d’avoir des phases de repos. Libero Zuppiroli, physicien professeur à l’EPFL, co-auteur du « Traité de la lumière » et de « Lumières du futur », va dans le même sens: « On est dans une société qui a de plus en plus tendance à vivre 24h/24h. Etre dans l’obscurité, sous un ciel étoilé, c’est une expérience qui fait du bien. Pour certains ça peut même être vécu comme une forme de renaissance ».

Si la Suisse veut retrouver sa nuit, il faudra que les citoyens prennent pleinement conscience des enjeux autour de la pollution lumineuse: écologique, économique, de santé,…Une prise de conscience qui peut prendre du temps…!

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