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La tuberculose, ce mal du passé toujours bien vivant en Suisse

Depuis quelques années, la tuberculose ne diminue plus en Suisse. Pire, les cas sont même en augmentation. Comment une maladie oubliée pourrait-elle revenir sur le devant de la scène?

Bains de soleil, cures d’altitude et exercices au grand air… Les Alpes semblent être le lieu idéal à la construction de sanatoriums au début des années 1900. L’image de ces cliniques alpines et de leurs cures de soleil et d’air frais est devenue célèbre dans le monde avec la sortie en 1926 du livre La Montagne magique de Thomas Mann.

Aujourd’hui, la tuberculose ne préoccupe plus la population, ni même le corps médical… et pourtant. Ce mal qui semble, en Suisse, bien lointain n’a cependant pas disparu, en atteste l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) qui fait état d’environ 550 nouvelles contaminations et une vingtaine de décès par an. Des chiffres en augmentation depuis 2007, après des années de recul. Doit-on craindre le retour de « La Peste blanche » en Suisse.


Une maladie qui contamine toujours


Chaque année, cette pandémie tue encore 1,6 million de personnes et plus de 10 millions de nouveaux cas sont détectés dans le monde. La faute à un manque d’accès aux soins dans les pays en développement, en particulier en Afrique et en Asie.


Une infection meurtrière

Cette maladie contagieuse touche les poumons dans 80% des cas, mais peut aussi, dans certaines formes, atteindre les os et les articulations, les viscères, les organes génitaux ainsi que les méninges, et conduit à la mort si elle n’est pas traitée. La tuberculose se transmet par voie respiratoire, par l’intermédiaire de gouttelettes qui contiennent les bacilles de microbes bactériens de tuberculose, le bacille de Koch.

À l’échelle mondiale, elle est la maladie infectieuse qui a fait le plus de victimes en 2021, après le Covid-19, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les symptômes d’une infection par le bacille de Koch sont notamment une toux chronique qui dure plus de trois semaines, une perte de poids significative, de la fièvre et parfois des sudations nocturnes.

AUDIO – Docteure Jesica Mazza-Stalder, responsable du dispensaire antituberculeux du CHUV, rappelle la létalité de cette infection. 


En 2020, en Suisse, l’Office fédéral de la statistique recense plus de nouveaux cas de tuberculose que de VIH. Les cas recensés d’infection au bacille de Koch sont de 374 alors que le virus du SIDA compte 290 nouvelles contaminations.

Malgré sa présence sur le territoire helvétique, « La Peste blanche » renvoie au passé, et rares sont les passants qui ont conscience que ce mal est toujours parmi nous.

AUDIO – Au marché de Lausanne, la tuberculose reste dans l’esprit des gens une maladie vieille et oubliée.


Selon les chiffres de l’OFSP une corrélation entre la migration et la présence de tuberculose sur notre territoire peut exister : un tiers des cas surviennent aujourd’hui chez des réfugiés. Cependant, sur le terrain les réalités sont multiples.


A la Ligue pulmonaire valaisanne, les nouvelles vagues de migration n’influent que peu le nombre de malades. Les 15 à 20 cas annuels recensés sur le territoire cantonal sont issus essentiellement de la communauté portugaise, établie depuis de nombreuses années. Il y a aussi quelques cas de personnes âgées autochtones, qui refont une tuberculose avec l’âge ou qui ont été contaminées à l’époque et déclarent la maladie avec l’affaiblissement de leur système immunitaire. Quelques cas de migrants sont aussi signalés, mais ce n’est pas la source principale de contamination.

Radiographie pulmonaire d’un cas infecté. Source : archive RTS


Les demandeurs d'asile ne transmettent pas la maladie à la population suisse. Daniel Koch, ancien chef de la division Maladies transmissibles

La réalité est quelque peu différente pour Jesica Mazza-Stalder, médecin pneumologue, responsable du Centre antituberculeux au CHUV et médecin adjoint à la santé publique pour la prévention des maladies transmissibles. Dans le canton de Vaud, la population issue de la migration est la principale responsable des cas de tuberculose, avec des malades plutôt jeunes.

Cependant Jesica Mazza-Stalder se veut rassurante, les cas de transmission à la population suisse sont extrêmement rares.  Daniel Koch, ancien chef de la division Maladies transmissibles, partage cet avis. Selon lui, les demandeurs d’asile ne transmettent pas la maladie à la population suisse.

AUDIO- Fabienne Vuichoud, responsable tuberculose à la Ligue pulmonaire valaisanne, explique l’origine de la maladie.


La situation géopolitique actuelle a également renforcé certaines craintes. Au début de la guerre en Ukraine, la Ligue pulmonaire suisse avait tiré la sonnette d’alarme, craignant une arrivée de nouveaux cas avec les réfugiés.

En Ukraine, l’incidence pour 100’000 habitants est 15 fois supérieure à celle de notre pays et les souches résistantes aux antibiotiques représentent un tiers des cas. « Avec l’éclatement de l’Union soviétique dans les années 1990, c’est tout le système de soins qui s’est effondré dans ces pays. La maladie s’est surtout propagée dans les prisons, d’où elle s’est glissée vers les quartiers résidentiels lorsque les détenus ont retrouvé leur liberté », décrypte le professeur Sébastien Gagneux, chef du département de biologie infectieuse à l’institut tropical et de santé publique suisse.

INFOGRAPHIE – Nombre de nouveaux cas de tuberculose par an pour 100’000 personnes  en 2019.

Source : Organisation mondiale de la santé (OMS)


Au final, seuls trois cas en provenance d’Ukraine ont été déclarés à l’OFSP en 2022 dont un cas de tuberculose résistante aux antibiotiques. Mais d’après les spécialistes interrogés, l’alarme au début du conflit a permis de rappeler aux médecins la présence constante de cette maladie.

La tuberculose a longtemps été en tête du classement mondial des maladies infectieuses les plus meurtrières, avant d’être dépassée par le Covid.



Une maladie taboue et oubliée

La maladie est incroyablement stigmatisée. Elle demeure associée à la saleté et à la pauvreté. De nombreux cas ne sont dès lors pas dépistés car le diagnostic est trop honteux. Contrairement au VIH qui a touché des personnes plus aisées dans le monde occidental, la tuberculose, elle, demeure taboue.


Le verdict est un véritable coup de massue pour le patient. Docteure Jesica Mazza-Stalder, responsable du dispensaire antituberculeux du CHUV.

AUDIO – Fabienne Vuichoud, responsable tuberculose à la Ligue pulmonaire valaisanne, revient sur la notion de maladie taboue.


Une stigmatisation qui peut être un coup dur à l’annonce du diagnostic, un quart des patients développe une dépression en lien avec la maladie. De nombreuses questions se posent également concernant l’origine de l’infection. Le verdict est un véritable coup de massue pour le patient et les réponses souvent inexistantes.

VIDEO – Jean-Marc Liotier, malade de la tuberculose, raconte comment il a perçu l’annonce de la maladie.

Le traitement demande beaucoup de persévérance de la part du patient. Les médicaments prennent la forme de comprimés devant être ingérés tous les jours sur une durée d’au moins six mois. Il est nécessaire d’associer plusieurs médicaments pour prévenir le risque d’apparition d’une résistance des bactéries.

Étant donné que des interruptions du traitement, des erreurs de posologie ou des confusions entre les médicaments rendraient les antibiotiques inefficaces, une surveillance de la prise de médicaments (Directly Observed Therapy, ou DOT) est prescrite dans certains cas. Elle peut par exemple s’effectuer dans une pharmacie située à proximité du domicile de la personne concernée, dans un centre pour requérants d’asile ou dans un établissement de soins.

Poumons infectés par le bacille de Koch. Source : NIAID, Images courtesy of Clifton Barry/ Laboratory of Clinical Immunology & Microbiology, CC BY-SA 4.0


La menace de la tuberculose multirésistante

La bonne prise du traitement est essentielle pour éviter la propagation de tuberculose multirésistante. Cette variante est née du fait de l’arrêt ou de la mauvaise prise d’un traitement contre une tuberculose dite normale. Cette forme de maladie devient particulièrement difficile à traiter. Le bacille de Koch s’adapte aux antibiotiques, les rendant inefficaces, il faut alors développer de nouvelles stratégies et prendre des traitements plus lourds.


C’est une course contre la montre face à une bactérie passée maître dans l’art de se protéger contre les médicaments. Docteure Jesica Mazza-Stalder, responsable du dispensaire antituberculeux du CHUV.

Le traitement de ces tuberculoses dites multirésistantes nécessite alors un traitement de deux ans (contre six mois pour la forme simple de la maladie), un cocktail de médicaments et d’injections aux effets secondaires graves, pour une chance sur deux de guérir.

AUDIO – Docteure Jesica Mazza-Stalder, responsable du dispensaire antituberculeux du CHUV, évoque les multiples effets secondaires des traitements.


Des nouveaux antibiotiques sont en cours de développement pour les tuberculoses multirésistantes. Mais les premiers essais ont déjà démontré une résistance à cette nouvelle génération de médicaments. C’est une course contre la montre face à une bactérie passée maître dans l’art de se protéger contre les médicaments.


Oublier la tuberculose... à quel prix?

Une grande partie de la population garde en mémoire les cures de soleil et a oublié que la tuberculose existe toujours, c’est un fait mais ce n’est pas dramatique. Par contre, que le corps médical en vienne à ne plus suspecter la tuberculose est un véritable problème. Si la tuberculose est relativement rare dans notre pays, le fait qu’elle ne soit plus présente dans les esprits pose un problème au moment du diagnostic.


Les symptômes de la tuberculose – toux, fièvre et pertes de poids – sont ordinaires et peuvent être interprétés comme une grippe ou un asthme par les médecins. La tuberculose n’est souvent pas soupçonnée et cela retarde son traitement. Une prise en charge rapide offre pourtant un meilleur taux de réussite de guérison et évite la propagation.

VIDEO – Fabienne Vuichoud, responsable tuberculose à la Ligue pulmonaire valaisanne, explique que la tuberculose ne fait plus partie du diagnostic différentiel.


Tuberculose – Covid : la lutte de pouvoir

La pandémie a propulsé le Covid-19 à la tête des maladies pulmonaires en 2020, évinçant ainsi quelque peu la tuberculose. En effet, le coronavirus a fait plus de 1,5 million de morts – dépassant ainsi les statistiques des personnes décédées de la tuberculose.

Cette lutte se reflète également sur le plan financier : seule la moitié des fonds promis par les membres de l’ONU en 2018 est arrivée pour le traitement des personnes contaminées par le bacille de Koch. De nombreux apports financiers prévus ont été consacrés à la lutte contre le Covid-19. C’est une situation paradoxale pour Fabienne Vuichoud, car la tuberculose est une maladie curable, dont l’origine et les traitements sont connus, mais qui continue de frapper un nombre croissant de personnes dans le monde.


Ne pas oublier la tuberculose…

Pour les Ligues pulmonaires du pays, il est important de continuer à parler de la tuberculose. Il faut que la population sache qu’elle existe et que l’on peut en guérir, il n’y a pas de honte à contracter cette maladie et sa stigmatisation ne doit en aucun cas être un frein à son évocation. Pour les Ligues, il est aussi important que le corps médical continue à penser au bacille de Koch comme une maladie existante afin de ne pas passer à côté de certains cas qui peuvent avoir une issue dramatique.

L’histoire d’un jeune homme non traité dans un premier temps montre à quel point le retard pris dans le diagnostic peut avoir des complications majeures. Après une visite à l’hôpital lors de laquelle on lui annonce une déchirure du poumon, l’état de ce patient s’aggrave. Deux mois plus tard, de retour à l’hôpital car il crache énormément de sang, il est plongé dans un coma artificiel. A son réveil, le diagnostic tombe.

AUDIO- témoignage archive RTS qui raconte les conséquences d’un diagnostic posé trop tard.


Quel avenir dans la lutte contre la tuberculose?

L’OMS avait pour objectif d’éradiquer la tuberculose d’ici à 2030. Mais l’organisation estime que cinq ans d’avancées dans la lutte contre la tuberculose ont été perdus durant la crise Covid et que le nombre de cas va continuer à augmenter après deux décennies de baisse. L’ampleur de la tâche reste donc énorme. C’est pourquoi, garder en mémoire son existence, poser un diagnostic rapide et réaliser un contact tracing efficace est essentiel dans cette longue lutte contre le bacille de Koch.

Pour les Ligues pulmonaires suisses, qui sont en charge de la collecte des cas et du traçage, il faut mettre en lumière ce mal, qui bien qu’ancien sévit toujours, afin de le ralentir et peut-être de l’éradiquer.

Texte et multimédia : Martine Vuistiner
Photos : NIAD, getty images, RTS
Vidéo d’accueil : cure d’air dans les Alpes, Leysin vers 1930. Source RTS archives.

Martine Vuistiner


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