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Le vacarme des routes nuit gravement à la santé

En Suisse, un million de personnes sont exposées à un bruit routier excessif. Chaque année, celui-ci cause 500 décès prématurés et 2500 cas de diabète. Entre la limitation des vitesses ou la pose de revêtement phonoabsorbant, les autorités prennent des mesures pour freiner un enjeu majeur de santé publique.

«En 7 ans, j’ai changé 11 fois d’appartement et c’était uniquement parce que le bruit me dérangeait.» Eva* est une habitante de l’avenue de Chailly à Lausanne, un axe majeur au nord de la capitale vaudoise. Elle souffre du brouhaha de la route et tente de s’en préserver. «Je dors avec les fenêtres fermées et des bouchons d’oreilles, à ce stade, à part prendre des somnifères, je ne vois pas ce que je peux faire d’autre. L’été, je ne peux pas ouvrir mes fenêtres et si c’est vraiment nécessaire, je dois mettre un casque pour entendre ma télévision, c’est infernal!» 

Selon un rapport immobilier de la Banque Cantonale Zurichoise (ZKB) datant de novembre dernier, Genève est première au classement des villes les plus bruyantes de Suisse, en raison de la cacophonie que produisent les automobiles. Dominique*, un habitant du quartier de Plainpalais, est très affecté par ce bourdonnement incessant. Il se sent moralement et physiquement agressé, parfois, ça lui provoque même des élans de haine. De plus, lors de notre interview réalisée au coin de son immeuble, il a eu beaucoup de difficultés à se concentrer pour répondre à nos questions.


VIDÉO – Dominique* un riverain excédé par le bruit de la chaussée


De graves répercussions sur la santé
Manque de concentration, fatigue, irritabilité, somnolence, ou encore dépression, ne sont que quelques-uns des effets dévastateurs et directs du bruit sur le sommeil. Plusieurs études à portée nationale et internationale (DecibLaus, CoLaus/PsyCoLaus) ont démontré ces risques. Des preuves scientifiques qui appuient la nécessité d’agir vite pour étouffer les émissions sonores des routes et qui permettent aux autorités d’avoir une base pour intervenir.

Le Dr. Haba-Rubio, médecin neurologue, spécialiste des troubles du sommeil au CHUV, qui a participé à ces études, précise les autres répercussions d’un mauvais sommeil attribuable à de la pollution auditive.

«Il y a les réveils conscients mais également les micro-réveils, ils sont inconscients, trop courts pour que le cerveau puisse les enregistrer. Ils provoquent un sommeil moins profond et donc de moins bonne qualité. A court terme, ils ont des conséquences telles que la fatigue, la somnolence, ainsi que des problèmes de concentration et de mémoire.

Qu’il soit conscient ou non, chaque réveil modifie le système cardiovasculaire et provoque une petite tachycardie, une petite montée de la tension artérielle. Dr. Haba-Rubio neurologue et spécialiste des troubles du sommeil au CHUV

Qu’il soit conscient ou non, chaque réveil modifie le système cardiovasculaire et provoque une petite tachycardie, une petite montée de la tension artérielle. Si c’est ponctuel, il n’y a pas de problème, mais si ça se répète toutes les nuits pendant des années, ça peut devenir chronique. Il y a alors des risques de développer de l’hypertension et éventuellement des maladies cardiovasculaires.»

Une femme fait l’objet d’analyses durant son sommeil.  © Jens Meyer/AP Photo/Keystone

Mais quel est donc le lien entre de plus graves problèmes de santé, tels que des décès prématurés ou du diabète, et entre les vrombissements des moteurs? Sophie Hoehn, cheffe de section du bruit routier à l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) l’explique: «L’oreille est le système d’alarme le plus primitif que chaque personne possède et ne peut pas être fermée. Donc, chaque fois qu’il y a un bruit durant le sommeil, le cerveau le détecte et met le système en alerte, ce qui produit du stress.»

L'oreille est le système d’alarme le plus primitif que chaque personne possède et ne peut pas être fermée Sophie Hoehn cheffe de section du bruit routier à l'OFEV

«Que le bruit soit perçu en continu ou par pics, même s’il n’y a pas forcément de réveil, le système se met en état d’alerte. Des hormones de stress sont produites ce qui provoque une cascade de stress dans le corps. Une personne soumise à des bruits pendant son sommeil aura eu cet effet plusieurs fois pendant la nuit et se réveillera, non pas reposée mais stressée, sans même le savoir peut-être. Ces conséquences sur la santé entrent dans toutes les maladies typiques du stress, comme les maladies cardiovasculaires et peuvent aller jusqu’à l’infarctus du myocarde. Pour le diabète, c’est une question de métabolisation du sucre dans le corps, lui aussi lié aux hormones de stress.»

Outre les maladies cardiovasculaires ou celles liées au stress, certains risques liés aux nuisances sonores de la route sont indirects, comme pour Marcello* qui loge près d’un grand axe routier, entre Vernier et la gare Cornavin, à Genève. Il est conducteur de bus et de trams aux Transports publics genevois (TPG) et pour lui, il est plus que nécessaire de bien se reposer avant son service. Les conséquences d’un mauvais sommeil pourraient être dangereuses pour ses passagers.

J’ai piqué du nez une fois en 9 ans de TPG et j'ai dû me faire remplacer Marcello* un conducteur de trams et de bus aux TPG

«Sans mentir, j’ai piqué du nez une fois en 9 ans de TPG. J’ai pu me faire remplacer mais mon chef m’a demandé pour quelles raisons ça m’arrivait. Je lui ai expliqué que j’avais passé une mauvaise nuit. J’avais fait un horaire où je n’avais que neuf heures de coupure, donc seulement cinq heures pour dormir et en plus, il y avait eu un orage. De manière générale, j’ai le sommeil assez léger et même si j’ai la chance d’avoir les chambres du côté de la cour intérieure, dès qu’il y a une grosse bécane, une ambulance ou des véhicules qui produisent des décibels plus élevés, ça résonne et ça me réveille…»

Marcello* doit veiller à être bien reposé avant de prendre son service aux TPG. © Justine Romano

Il est donc clair que les autorités doivent agir vite car, il y a encore aujourd’hui, plus d’un million de personnes qui souffrent des nuisances sonores liées à la route. Alors, qui doit gérer les mesures à prendre pour assainir le bruit routier et selon quelles valeurs?

Aux autorités d’agir pour protéger la population
La cheffe de section du bruit routier à l’OFEV, Sophie Hoehn, explique que c’est au propriétaire de la route (commune, canton ou confédération) de prendre des mesures pour protéger la population. Cela dépend des décibels analysés aux fenêtres des maisons, du nombre de véhicules qui passent et du type de véhicule (voitures de tourisme ou véhicules bruyants; les motos et les camions entrent dans cette dernière catégorie). En fonction de ces analyses, le propriétaire décide comment il va réduire les émissions sonores de la route, si les valeurs limites sont dépassées.

C’est l’ordonnance sur la protection contre le bruit (OPB) qui fixe les valeurs limites puis elles sont adaptées au degré de sensibilité de la zone exposée et sont plus basses la nuit que le jour. «Sur une zone d’habitation pure (II) par exemple, où la population se repose, les valeurs limites sont de 55 décibels pour la journée et de 45 décibels pour la nuit. Dans une zone mixte (III) où il y a un peu d’habitations et un peu d’industrie, les valeurs limites sont fixées à 60 décibels durant le jour et à 50 décibels pendant la nuit.» poursuit Sophie Hoehn. 

Cependant, l’OPB date des années 80 et n’est plus en adéquation avec la masse de véhicules qui circulent chaque jour. Une motion a été acceptée par les deux chambres du conseil national en juin 2020. Elle permettra d’organiser la répression contre le bruit routier au niveau national.

GRAPHIQUE – Les valeurs limites de jour ou de nuit, selon la zone exposée © Bafu.ch

Le 30 km/h de nuit à Lausanne, une première en Suisse
Depuis le mois de septembre dernier et pour offrir plus de tranquillité aux habitants de Lausanne, la ville a réduit la vitesse des grands axes routiers à 30 km/h entre 22h et 6h, une première en Suisse. Une modération du trafic qui enchante certains riverains comme l’explique Patrick Etournaud, chef de la mobilité et de l’aménagement des espaces publics, à la Ville de Lausanne: «Depuis que cette mesure a été mise en place, des gens qui ne sont pas encore concernés demandent qu’elle soit appliquée à leur quartier.»

C’est une des premières fois dans ma carrière que je vois autant de retours positifs, les gens écrivent pour nous remercier Patrick Etournaud chef de la mobilité et de l'aménagement des espaces publics à la Ville de Lausanne

«C’est une des premières fois dans ma carrière que je vois autant de retours positifs. Les gens remercient les politiques et les services techniques d’avoir établi cette nouvelle règle, qui leur est bénéfique. C’est assez rare, d’habitude les gens écrivent plutôt pour se plaindre», poursuit-il. Mais cette mesure est-elle vraiment efficace?

Pour la commune, le bilan de cette mesure est très positif, seulement six mois après sa mise en service. Valentina Andreolli, adjointe du chef de la mobilité et de l’aménagement des espaces publics, à la Ville de Lausanne explique: «Avant de décider de mettre cette mesure en place, nous avions effectué des tests de réduction de vitesse à 30 km/h de nuit, sur l’axe Vinet-Beaulieu. Nous avions également mandaté des acousticiens, qui ont déterminé que la diminution de décibels ressentie par les riverains atteignait -2 à -3 décibels, grâce à cette réduction de vitesse nocturne.»  

AUDIO – Bilan de la mesure de réduction de vitesse nocturne à Lausanne

 

Elle ajoute: «Cette mesure a été mise en place non pas pour contrôler la vitesse mais bien pour réduire le bruit et aujourd’hui, nous avons réussi. Il reste encore quelques endroits aux entrées de la ville, où la vitesse est un peu supérieure mais les indicateurs de vitesse jouent bien leur rôle de rappeler aux automobilistes de rouler à 30 km/h entre 22h et 6h.» De plus, cette mesure a un impact considérable sur les pics de bruit qui diminuent de 80% et si on l’associe à la pose de revêtement phonoabsorbant, les décibels sont encore réduits de 1 décibel, soit une diminution globale de 3 à 4 décibels en moins, en comparaison avec le 50 km/h.

En effet, il semble que multiplier les mesures pour assainir les nuisances sonores de la chaussée donne de meilleurs résultats. En Suisse, la population exposée à un bruit nuisible est de 14%. Si chaque mesure prise à la source est installée individuellement, le pourcentage de la population touchée s’abaisse. Pour du revêtement phonoabsorbant on diminue à 4%. Si on le combine avec une réduction de vitesse, la part de la population restant exposée à un bruit nuisible s’abaisse à 2% environ. C’est donc -12% de personnes exposées à un bruit nuisible pour cet exemple. Cependant, il semblerait que certaines mesures ne soient pas performantes pour toutes les catégories de véhicules.

Une mesure inefficace pour les motos
Pour beaucoup de motards, la mesure de diminuer la vitesse à 30 km/h pour réduire les nuisances sonores n’est pas adaptée à leur grosse cylindrée et serait inefficace. Julien* en fait partie et l’explique: «Le 30 km/h pour moi, c’est une aberration! En roulant à 30km/h, je dois être sur le premier rapport, je vais donc rouler moins vite mais je serai plus haut dans les tours, ce qui veut dire que ma moto va forcément faire plus de bruit. Alors que si je roule à 50km/h, je pourrai avoir un rapport plus haut, avec un régime moteur plus bas et donc faire moins de bruit. De plus, en roulant à 30km/h, je vais mettre plus de temps pour passer une certaine distance, ce qui emmerdera plus le monde.»

Le 30 km/h pour moi c’est une aberration ! Julien* un motard qui considère faire plus de bruit à 30 km/h qu'à 50 km/h

Techniquement, cette théorie semble bien se confirmer et dépend de la motorisation du véhicule. «Il y a beaucoup de motos avec lesquelles il n’est pas possible de rouler au-dessus de la première ou deuxième vitesse à 30 km/h», comme l’explique Hervé Gantner, ancien pilote de moto et patron d’une concession KTM à Genève. «Ce qui provoque plus de bruit et plus de pollution.» poursuit-il.

VIDÉO – Hervé Gantner explique le défaut des motos circulant à bas régime

Certes, il y a l’aspect technique mais également le comportement du conducteur qui joue un rôle prépondérant dans le bruit que provoquent certaines motos. Le Capitaine de la Police routière du Canton de Genève, Yann Oppeliguer, le reconnaît: «Il est difficile de dire si une moto fait plus de bruit à 30 km/h ou à 50 km/h car cela va dépendre du conducteur, de sa manière de conduire, de sa manière de gérer le régime-moteur ou encore de l’équipement qui se trouve sur sa moto.»

De plus, il ajoute que si le véhicule a été modifié et qu’il n’est pas aux normes, le conducteur s’expose à des sanctions financières qui peuvent dépasser 1000 francs et se faire saisir sa moto, si elle dépasse de 5 décibels la norme du constructeur. «On encourage les motocyclistes à utiliser un équipement qui est homologué, sans quoi le porte-monnaie peut prendre un sacré coup.» conclut le Capitaine de la Police routière du Canton de Genève.

VIDÉO – Un contrôle de police du volume sonore des motos

Certaines motos produisent autant de décibels qu’un marteau piqueur qui se trouverait à 2 mètres (100 dB), comme la Ducati Panigale V4, qui peut atteindre les 107 décibels. Des bolides qui ne sont techniquement pas modifiés et donc tout à fait aux normes suisses. Pourquoi la confédération permet-elle encore des engins pareils sur son territoire, alors qu’elle lutte contre le vrombissement des moteurs? L’homologation des motos est régie par une autre base légale qui comporte d’autres valeurs limites. Les normes pour les motos sont européennes et le problème, c’est que la suisse n’a pas de prise sur les valeurs définies. 

La Ducati Panigale V4 qui est homologuée à 107dB, plus qu’un marteau piqueur à 2 mètres

Les autorités de tout le pays et de toute l’Europe même, s’attèlent pour un apaisement général du bruit et surtout celui de la route produit. A Bruxelles par exemple, toute la ville est passée à 30 km/h, de jour comme de nuit, ce qui permet une amélioration de la sécurité routière, en plus d’amoindrir les nuisances sonores. Pour chaque habitant exposé à un bruit nuisible, il est difficile d’évaluer les dégâts que provoque le vacarme des moteurs sur sa santé. Il est donc capital que la Confédération continue le combat, pour protéger son peuple et lui offrir une meilleure qualité de vie. Pourquoi pas en subventionnant les véhicules électriques, des pneus antibruit ou simplement en interdisant certaines catégories de véhicules?

Justine Romano

*Noms connus de la rédaction

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