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Pédophilie : prévenir à tout prix le passage à l’acte

Aider les personnes attirées sexuellement par les enfants, mais qui ne sont jamais passées à l’acte. Une nouvelle méthode de prévention de la pédophilie qui est voulue par les politiques suisses. Elle se base sur une offre thérapeutique qui a fait ses preuves en Allemagne. Alors qu’elle se met petit à petit en place, cela reste difficile de vérifier l’efficacité de ces nouvelles mesures de prévention.

« Les personnes qui ont une attirance envers les enfants souffrent car elles ont honte. » Lorenzo Soldati sait de quoi il parle : il est confronté au quotidien à des personnes qui présentent des troubles sexuels. Le responsable de la consultation de sexologie aux Hôpitaux universitaires de Genève joue un rôle prédominant dans la nouvelle approche nationale de la prévention de la pédophilie. Il est référent pour la cité de Calvin dans le programme Kein Täter werden Schweiz (ne devenez pas un criminel). Cette approche vise directement les personnes qui ont des fantasmes pédophiles mais qui ne sont jamais passées à l’acte. Les spécialistes leur apprennent certaines stratégies cognitives qui ont pour but l’acceptation et la gestion de ces pulsions.

EN IMAGE : le dépliant de DISNO interpelle avec plusieurs questions

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L'association DISNO a pour but d'aider les personnes attirées par les enfants ou les jeunes adolescents. © DISNO

Cette offre de traitement est nouvelle en Suisse. Elle se base sur ce qui est proposé en Allemagne depuis 2005 au sein de l’Institut de sexologie et de médecine sexuelle de l’hôpital de la Charité à Berlin. Elle est née d’un rapport de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), en septembre 2020. Lui-même a été commandé par le Conseil fédéral à la suite de discussions dans les Chambres parlementaires autour de deux postulats, déposés par Daniel Jositch (PS/ZH) et Natalie Rickli (UDC/ZH).

Selon Sabine Scheiben, la cheffe du secteur des questions de l’enfance et de la jeunesse à l’OFAS, il faut étendre la prévention du mieux possible. Elle va à présent s’articuler autour de deux axes. Le premier est la prévention auprès des enfants et des encadrants, comme les enseignants. C’est le même qu’auparavant. Mais au fil des ans, les professionnels ont réalisé que cet axe ne suffit pas, qu’il n’était pas assez efficace.

L’association DISNO a donc décidé de tenter une nouvelle approche : l’aide directe auprès des personnes qui sont attirées par les enfants mais qui ne sont jamais passées à l’acte. Pionnière dans ce domaine, l’association basée à Monthey propose « une écoute, des conseils, une orientation vers des services de psychothérapie et une information ciblée » explique son directeur Hakim Gonthier.

VIDEO: Une prise de conscience est nécessaire pour s’en sortir

Parallèlement à l’offre de DISNO, le service thérapeutique Kein Täter werden a vu le jour en Suisse. Actuellement, il se développe en quatre bureaux, à Genève, Bâle, Zurich et Frauenfeld, et est actif dans neuf cantons.
En Allemagne, cette méthode a trouvé un public : fin 2020, le programme faisait état de quelque 11’374 demandes d’aide. Mais en Suisse, Kein Täter werden peine encore à se faire connaître. Pourtant, selon Lorenzo Soldati, il est important de trouver un équilibre, de combiner les services de hotlines comme propose DISNO, avec les offres de thérapies de Kein Täter werden Schweiz.

Dans cette optique, les responsables du projet collaborent avec l’OFAS, qui a un rôle de coordinateur entre les associations comme DISNO, IONO au Tessin et BeforeMore en Suisse alémanique. Et c’est là que réside le plus gros du travail pour les années à venir : il faut développer les offres thérapeutiques dans le pays.

La Suisse romande à la traîne

Pour le moment, le nombre de demandes augmente du côté germanophone, mais le programme d’aide pour les personnes qui ne sont jamais passées à l’acte n’est pas encore mis en place du côté romand. Le psychiatre Lorenzo Soldati, l’explique notamment par le fait que Kein Täter werden est déjà très connu en terres germanophones de par l’influence du programme allemand. Mais en Suisse romande, le projet doit encore se démocratiser et surtout se développer. Pour preuve, le site internet n’a même pas encore été traduit en français.

EN IMAGE: Kein Täter werden tente de sensibiliser la population, y compris les jeunes

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La campagne publicitaire 2022 du programme Kein Täter werden, n'est disponible qu'en allemand. © Kein Täter werden

Pour développer les offres thérapeutiques, il est important de clarifier ce qu’est vraiment la pédophilie. Les professionnels sont partagés au moment de la décrire. La pédophilie est considérée comme une maladie depuis des années, mais cette vision change. On a de plus en plus tendance à la considérer comme une orientation sexuelle, explique Lorenzo Soldati. « Pour une bonne partie des gens qui sont pédophiles, leur intérêt se développe à l’adolescence, à l’instar des autres orientations sexuelles », poursuit-il. Si on la considère comme telle, on part donc du principe que la pédophilie n’est pas forcément guérissable.

« On ne peut pas laisser les gens comme ça » 

Cette attirance va donc être vue comme un trouble et la thérapie proposée par Kein Täter werden a pour but d’apprendre à gérer les pulsions. Ce qui peut passer par une « vie d’abstinence »  pour les personnes qui ont une attirance exclusive pour les enfants, selon Hakim Gonthier de DISNO. Peu importe si cette attirance ne peut pas se guérir, l’important est d’aider au maximum les potentiels auteurs pour qu’ils ne passent jamais à l’acte. « On ne peut pas laisser les gens comme ça, indique Pierre Verdrager, sociologue spécialisé dans la pédophilie, il faut qu’on s’occupe d’eux et qu’on les empêche de faire des victimes et d’aller en prison. Si on considère que les relations sexuelles entre enfants et majeurs ne sont pas possibles, alors il faut que la société se donne aussi les moyens de rendre ces relations impossibles en s’adressant précisément à ceux qui sont attirés par ses relations. »

Tout abus sexuel est un acte hyper grave. Il faut le prévenir par tous les moyens. Sabine Scheiben, cheffe du secteur des questions de l’enfance et de la jeunesse à l’OFAS

Ces personnes peuvent donc se tourner directement vers un docteur en psychiatrie, vers le programme Kein Täter werden (s’il est déjà mis en place dans leur canton) ou vers DISNO. L’association reçoit appels et courriers électroniques de la part de personnes de tous les âges. Justement, le directeur de l’association a reçu, lors de notre entretien, une demande d’un jeune homme d’une vingtaine d’années : « Il nous dit qu’il éprouve parfois des fantasmes envers des adolescentes, qu’il est conscient que ce n’est pas normal mais qu’il n’a personne à qui en parler, que ça le laisse démuni. Il ajouter qu’il ne sait pas vers quel professionnel se tourner pour demander de l’aide. Il nous dit aussi qu’il est convaincu qu’il n’est pas un monstre. Finalement, il précise qu’il n’a jamais touché un mineur ou commis d’acte répréhensible sur mineur. » Ce jeune a pu se tourner vers DISNO pour un premier contact, comme un appel à l’aide. Il sera accompagné dans sa démarche par l’association et pourra ensuite être redirigé vers un spécialiste pour trouver de l’aide thérapeutique.

Les praticiens face à leurs limites

Des médecins formés, on en trouve notamment au Centre neuchâtelois de psychiatrie. Le Docteur Dominique Marcot suit des personnes qui sont déjà passées à l’acte et qui lui sont envoyées par la justice. Mais il fait également partie des contacts de DISNO pour suivre les potentiels futurs auteurs. Des personnes qui disent venir de leur propre initiative, mais en réalité, beaucoup y ont été contraints par des proches ou la police. Une omission parmi d’autres dans ce domaine: on ne peut jamais être sûr qu’il n’y a pas eu passage à l’acte.

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Si certains, comme le Docteur Marcot, sont formés à suivre des personnes qui présentent des pulsions pédophiles, d’autres ne le sont pas. C’est le cas d’Anne Fontaine, sexologue à Neuchâtel. C’est un peu par hasard qu’elle a suivi pendant plus de quatre ans un homme qui est attiré par des mineurs. D’abord seule, elle a ensuite privilégié la collaboration avec un psychiatre pour suivre au mieux son patient, avant de le confier uniquement à des mains expertes de médecins. « C’est important de reconnaître où sont nos limites. C’était le plus important, pour moi qu’il ait un cadre médical et aussi au niveau de la sécurité pour lui, ne serait-ce que pour l’ordonnance, la gestion des médicaments. Il est clair que ça ne rentre pas du tout dans mon métier, dans mes compétences et dans ma formation. » déclare la sexologue.

Anne Fontaine fait également part des limites morales que peut représenter ce type de suivi. Certains thérapeutes ne veulent pas aller à l’encontre de leurs valeurs et ont aussi la crainte de poursuites judiciaires. Ils renoncent donc à commencer un suivi. Ainsi beaucoup de personnes attirées par des mineurs ne trouvent pas de thérapeutes.

Difficile d’imaginer une femme pédophile

La pédophilie n’est pas uniquement un problème d’hommes. Même si les cas d’abus commis par des femmes restent rares – on parle de 5 à 10% en Suisse et dans le monde – ils existent. Et pourtant l’image d’un abuseur masculin est majoritairement répandue.

La prévention cible en priorité les hommes. Dans certains domaines, comme le parascolaire, des éducateurs se montrent plus prudents dans leur comportement que leurs collègues féminines. C’est le cas d’Adrian Maibach. Le jeune homme est assistant éducateur dans une structure parascolaire lausannoise depuis plusieurs années. Il a connu déjà plusieurs fois des remarques venant de parents sur son comportement avec les enfants, alors que ses collègues féminines en sont exemptées.

AUDIO : consoler une fillette dans ses bras et être pris à parti

Pourtant, Adrian est formé de la même manière et pratique le même métier. Mais le fait qu’il soit un homme qui travaille avec des enfants pose un problème à certains parents. À tel point qu’il se force à rester plus distant avec les enfants. Il s’interdit par exemple de les prendre sur ses genoux ou de leur faire un bisou lorsqu’ils ont besoin de réconfort.

Il y a donc une certaine prise de conscience et attention particulière des hommes. Mais même avec cela, on ne peut pas prévenir tous les potentiels abus. Camille Bajeux tient à rappeler que la majorité des cas se produisent dans le cercle très fermé et secret de la famille. La réflexion doit donc aller plus loin pour l’assistante-doctorante à l’institut des études de genre à l’Université de Genève.

Selon elle, il y a actuellement des stéréotypes sexistes dans la prévention. Par exemple selon l’un d’eux : si un homme montre une forme d’affection envers un enfant, ce serait forcément la trace d’une potentielle attirance. Camille Bajeux admet que cela constitue en soi une inégalité mais relève que cela s’inscrit dans la société actuelle.

AUDIO: Camille Bajeux, chercheuse : « lutter contre les inégalités sociales pour prévenir la pédophilie »

Comme la pédophilie est très taboue et parfois même cachée au sein des familles, difficile de déterminer si la prévention fait effet. « On ne peut pas aller dans la rue ou ailleurs et demander aux gens s’ils sont pédophiles » déclare Sabine Scheiben de l’OFAS.

Soulagement d’être aidé

En Allemagne, des données peuvent être récoltées grâce à des questionnaires que les potentiels auteurs remplissent après leur thérapie auprès de Kein Täter werden. Mais en Suisse, les seuls à disposer de retours de la part des personnes attirées par les enfants, ce sont les associations. Malgré nos demandes auprès du directeur de DISNO, Hakim Gonthier, nous n’avons pas pu recueillir de témoignages directs. Le comité de l’association nous renvoie à ceux qu’il publie sur son site internet. On y trouve principalement des signes d’espoir.

EN IMAGE: Paul(nom d’emprunt) a trouvé du soutien pour gérer son attirance sexuelle

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© DISNO.ch

Une aide qui semble porter ses fruits, petit à petit. Si aucune étude n’a encore été réalisée à ce jour – le Conseil fédéral en a commandé une auprès de l’OFAS pour le printemps 2025 – les spécialistes et acteurs au sein des associations voient déjà des effets positifs de cette nouvelle offre d’aide. « On constate que des personnes sortent de la consommation de matériel pédopornographique par exemple, détaille Hakim Gonthier. D’autres prennent conscience du fait de devoir prendre en main et gérer leur attirance et y parviennent ». Des signes positifs mais qui rappellent que, comme beaucoup de cas psychologiques, la prévention et les traitements thérapeutiques ne sont pas une science exacte.

Texte Lydiane Guenat
Multimédia Lydiane Guenat et Michèle Rettig
Photos DISNO et Kein Täter werden

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