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Piétonnisation: pourquoi Neuchâtel est désormais à la traîne

Il y a environ 40 ans, la Suisse entière enviait Neuchâtel pour le développement de sa zone piétonne. Aujourd’hui, la Ville n’a pas étendu son développement au reste du centre-ville. Et le seul projet qu’elle a présenté cette dernière décennie n’a pas plu à la population. La zone piétonne elle-même reste encombrée d’un trafic motorisé parasite.

« Dorénavant, le cœur de Neuchâtel va battre à un autre rythme, celui de ses rues piétonnes. » Ces mots de l’ancien conseiller communal Claude Frey, on peut les lire dans L’Express du 26 mai 1979, au lendemain de l’inauguration de la nouvelle zone piétonne. 

A l’époque, le combat avait été long. Mais il valait la peine: Neuchâtel faisait alors partie des avant-gardistes en Suisse. Aujourd’hui, presque toutes les villes l’ont rejointe, voir dépassée, dans ce développement en faveur des piétons. Selon une étude menée à l’été 2020 par Mobilité Piétonne dans seize grandes villes suisses, la capitale neuchâteloise se classait quand même dans le top cinq au niveau du développement de son espace public. Une récompense distribuée la même année soulignait les nombreuses possibilités de se déplacer à pied à Neuchâtel, « et le plaisir qu’elles procurent aux usagers ».  

La rue du Seyon, lors des samedis sans bus organisés depuis mars 2019.

Et il n’y a rien d’étonnant à ce que Neuchâtel ait été rattrapée par d’autres villes depuis 1979: la zone piétonne est restée la même qu’il y a trente ans, sans perspectives d’agrandissements apparents. Les derniers changements datent du début des années 90, lorsque la place des Halles puis la rue du Seyon, l’axe principal de la zone piétonne, ont été rendues à la population. Un changement qui avait été fait contre l’avis des commerçants, mais qui s’est depuis révélé rentable.

S’il fait toujours bon flâner dans la zone piétonne de Neuchâtel, rares sont les rues qui sont aujourd’hui réellement 100% piétonnes: la plupart d’entre elles ont gardé leur largeur de l’époque. Les livraisons s’y succèdent et les transports publics y circulent librement. Les rares rues dépourvues de trafic, comme la rue du Moulin, offrent par contre une belle liberté pour les piétons comme pour les commerçants. 

Promenez-vous sur la carte pour découvrir en image les aménagements actuels des rues de la zone piétonne et des places voisines.

Si aujourd’hui, la zone piétonne de Neuchâtel est encore considérée comme « la plus grande de Suisse romande en termes de cohérence piétonnière » selon ses autorités, ces dernières ne montrent pas de volonté d’améliorer le rayonnement de cette surface. 

Pourtant, dans le programme politique des années 2018 à 2021 de la Ville de Neuchâtel, le « réaménagement des accès de la zone piétonne » était mentionné comme un axe de développement. Malgré cette volonté politique, les livraisons normalement limitées à une partie de la matinée se font jusque tard dans l’après-midi.

Le projet de bornes, ça fait sept ans qu’on nous le promet ! Franchement on n’y croit plus… Susanne Dändliker, présidente de l’association des commerçants Neuchâtel Centre

Susanne Dändliker en sait quelque chose : elle est la présidente de l’association des commerçants Neuchâtel Centre et exerce depuis 1997 à la rue du Seyon. Elle a donc vu défiler beaucoup de camions de livraisons. Pour elle, la Ville ne s’investit pas assez pour délimiter les frontières de la zone piétonne. Exemple de la commerçante avec le projet des autorités d’installer des bornes aux accès principaux des rues piétonnes: « Ce projet, ça fait sept ans qu’on nous le promet ! Franchement on n’y croit plus… » 

Les transports publics trop présents ?

Autre problème de trafic dans la zone piétonne : celui des transports publics. Des bus traversent la rue du Seyon toutes les cinq minutes environ. « On voit la différence lorsqu’il y a l’interdiction de circuler pour les bus le samedi, s’exclame Suzanne Dändliker. Les mamans n’ont plus peur de laisser leurs enfants se déplacer seuls ». Depuis quelques années maintenant, et après une phase de test, les trolleys ont été supprimés de cet axe principal le samedi afin de redonner l’espace aux commerçants et aux piétons. Coïncidence ou non: à la fin des années 80, un processus similaire avait conduit à l’introduction de la zone piétonne définitive dans cette même rue. 

Reste le point central de la zone piétonne: la place Pury et son chassé-croisé de bus. Celle-ci est le terminus de nombreuses lignes, impossible donc de se promener librement sur cette place sans jeter un oeil par-dessus son épaule. Le président du TCS Neuchâtel, Jean-Luc Vautravers, voit la circulation intensive de transports publics sur cette place d’un mauvais oeil. Il prône d’ailleurs la suppression des bus au centre-ville. « Il faudrait réaménager la place Pury. Cet espace n’appartient pas du tout à la population. »

Les navettes autonomes,
une solution de remplacement ?

Si réaménager la place Pury de Neuchâtel semble être un projet de développement de la mobilité abordable, rien n’est à l’agenda de la Ville, ni même de l’entreprise cantonale de transports publics transN. Cette dernière semble vouloir se contenter du statu quo. Même topo pour la traversée de la rue du Seyon.

Si les transports publics ne circulent déjà plus le samedi dans la zone piétonne de Neuchâtel, l’étape de suppression pour le reste de la semaine n’est pas encore gagnée. Pourtant, des solutions pour améliorer cette transition sont déjà en développement dans d’autres villes romandes. Par exemple, l’introduction de navettes autonomes. Il ne s’agirait pas là de remplacer les grands bus par des petits véhicules autonomes pouvant accueillir une dizaine de passagers au maximum. Mais plutôt de promouvoir l’interdiction des bus de circuler dans la zone piétonne, tout en gardant un moyen de transport accessible aux usagers qui en ont réellement besoin. 

Il est impossible pour l’intelligence artificielle de prédire le comportement des autres usagers Alexandre Alahi, professeur à l’EPFL

A Genève, un projet de ce genre vient d’être lancé avec des navettes autonomes du côté de l’Hôpital de psychiatrie de Belle-Idée. Plusieurs arrêts sont proposés à choix dans un périmètre défini, et c’est le passager qui décide où il veut se rendre grâce à une application. Là aussi, le but est d’étendre le réseau de transports en commun, là où les transports publics comme les trams ou les bus, ne peuvent pas se rendre.

Jeroen Beukers, expert en véhicules autonomes aux TPG: « Les grandes lignes de bus vont toujours exister »

Seul problème des navettes autonomes : à l’heure actuelle, l’intelligence artificielle n’est pas encore assez développée pour « affronter » des zones très concentrées en piétons. Dès qu’il détecte un mouvement avec ses capteurs, le véhicule préfère s’arrêter, ce qui rendrait vite la circulation difficile voire impossible en zone piétonne.

« Pour le moment, il est impossible pour l’intelligence artificielle de prédire le comportement des autres usagers, comme le font simplement les humains ». C’est la conclusion actuelle des recherches menées depuis plusieurs années par Alexandre Alahi, professeur en intelligence artificielle dans le domaine des transports à l’EPFL. Selon lui, il est également trop tôt pour dire quand ces navettes seront couramment présentes dans les rues suisses. 

Il faut dire que la législation oblige encore la présence d’un chauffeur à bord du véhicule. En Suisse, une dizaine de projets tests sont menés actuellement, dont ceux de Sion et Marly, qui permettent de conduire les passagers d’un point A à un point B. A Neuchâtel, transN n’a pas encore montré son intérêt pour développer des navettes autonomes dans un futur proche.

Zone piétonne: Neuchâtel à la recherche d’un projet fédérateur

Ce qu’il manque encore à Neuchâtel pour redevenir pionnier, c’est un agrandissement de sa zone piétonne à l’Est, pour englober l’ensemble du centre-ville. Pierre-Olivier Aragno, délégué au service de la mobilité, du développement durable et de l’environnement à Neuchâtel confirme qu’il y a bien une volonté d’étendre la zone piétonne dans cette direction. « Cela permettrait d’agrandir l’espace public. » Et donc de limiter le trafic motorisé privé.

L’idée plaît également à l’ancien conseiller communal Claude Frey, l’instigateur de la zone piétonne en 1979 : « Il y a quelque chose à faire sur la place Alexis-Marie Piaget ». Un projet propose d’ailleurs de déplacer le parking actuel au sous-sol, afin de libérer de l’espace pour les piétons. Mais il s’agit de ficeler une véritable proposition avant de la présenter à la population : la dernière tentative similaire de modifier la place Numa-Droz, à l’Est de la zone piétonne, s’est heurtée en 2013 à un refus de la population dans les urnes.

Le projet de réaménagement de la place Numa-Droz en zone de rencontres, refusé en 2013.

Cet échec constitue le dernier essai des autorités communales d’agrandir la zone piétonne. Ce projet aurait permis l’introduction d’une zone de rencontres, pour favoriser la circulation des transports publics et des piétons. Une zone qui aurait aussi permis de connecter le centre-ville au lac de Neuchâtel. 

Mais la planification était vue d’un mauvais oeil par le TCS Neuchâtel et les commerçants indépendants. Selon eux, la circulation serait devenue un chaos, les clients auraient fui le centre et les piétons auraient eu un faux sentiment de sécurité. Des arguments pas totalement inconnus aux autres occupants de zones de rencontres en Suisse romande. Dans plusieurs cas, par exemple aux Pâquis à Genève, la signalisation n’interpelle pas assez les automobilistes. Résultats: ces derniers ne font pas plus attention aux piétons.

Nicolas Kessler, porte-parole du bureau de prévention des accidents (BPA), explique comment une zone de rencontres peut être sécurisée.

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