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Et si le sport n’était finalement pas si bon pour la santé?

Les accidents liés à la pratique d’une activité physique ont fortement augmenté en Suisse au cours des vingt dernières années tout comme les coûts liés à ces blessures. Entre prises de risque de la part des adeptes et davantage de personnes qui s’adonnent à une activité physique, les causes sont multiples. 

200 000 accidents par an. Ce chiffre peut sembler colossal, mais il correspond au total des accidents causés par la pratique du sport en tant que loisir en Suisse pour l’année 2019, selon les chiffres publiés par la SUVA, la principale assurance accident du pays. En comparaison avec l’an 2000, on a recensé en 2019, 50 000 blessures supplémentaires durant la pratique d’une activité physique. Bien évidemment, les coûts médicaux liés aux accidents sportifs ont également pris l’ascenseur durant la même période. Ils ont doublé, passant de 550 millions à 1,1 milliard de francs selon les derniers chiffres publiés par la SUVA dans son rapport 2021 en lien avec cette thématique. 

Forte croissance des coûts entre 2011 et 2015

Face à ces chiffres en forte hausse, le Bureau de la prévention des accidents (BPA) a tenté de chercher les causes de celle-ci dans l’objectif de freiner cette tendance inquiétante. D’un côté, selon l’organisation, il n’est pas surprenant de constater qu’il y a davantage de blessés, puisqu’entre le début du XXIe siècle et 2019, la part de la population qui se soumet à la pratique régulière d’un sport pendant son temps libre a augmenté de 15%.

La croissance de popularité des sports à risque n’est pas étrangère à la hausse des blessures. “Si le ski, la randonnée et le football, trois des disciplines les plus pratiquées par la population, demeurent en tête en valeur absolue du nombre d’accidents, davantage de personnes se tournent vers un sport à risque, ce qui a une influence sur le nombre de blessés”, écrit le BPA dans son baromètre 2021 sur la sécurité dans le sport. 

Le vieillissement de la population pointé du doigt

Outre le fait que la population est plus régulièrement en mouvement de nos jours, il est nécessaire de prendre en compte que l’âge moyen des sportifs et sportives a augmenté au cours des dernières années. La part de Suisses âgés entre 65 et 74 ans s’adonnant à une activité physique ne serait-ce qu’occasionnellement s’élevait à 82% en 2020 soit 13% de plus que six ans auparavant d’après un sondage mené par la Confédération helvétique en collaboration avec Swiss Olympic, la SUVA ainsi que le BPA.

Sur cette même période, on observe une tendance identique pour la catégorie d’âge des 55-64 ans. C’est justement les blessures des sportifs appartenant à cette classe d’âge qui vont coûter le plus cher aux assurances en cas d’ennui de santé comme l’explique Jean-Luc Alt, le porte-parole de la SUVA.

Jean-Luc Alt: une personne qui se blesse à un âge avancée coûte plus cher

En consultant les données discipline par discipline, certains chiffres attirent davantage l’attention que d’autres. Au total, en mêlant les cas de blessures de la randonnée à ceux du jogging, ce sont près de 60 000 personnes qui ont été victimes d’un accident sportif en 2019 selon le rapport du BPA. Même si les risques pour la santé sont moindres en comparaison avec le saut en parapente ou lors d’une course automobile, il est assez surprenant de se dire que le simple fait de marcher peut finalement être dangereux pour l’intégrité physique.

Cette tendance est en quelque sorte liée à l’individualisation de la société comme le relate le sociologue du sport Christophe Jaccoud. “Il y a une évolution dans la manière d’apprendre la pratique d’une discipline. Auparavant, les clubs sportifs avaient comme fonction de transmettre l’apprentissage. Désormais, les gens apprennent par eux-mêmes”, indique le professeur de sociologie du sport à l’Université de Neuchâtel. “Ainsi, il y a parfois des soucis de santé, car le coureur ne fait pas les gestes justes ou ne sait pas qu’il faut s’étirer après avoir effectué un effort important.

Organisateur de courses populaires à Moutier (BE), Hervé Solignac a constaté depuis quelques années que les participants ont davantage l’envie de réaliser une performance lors des manifestations qu’il organise dans le Jura bernois. “Les gens se présentent au départ de plus en plus avec l’objectif de réaliser un chrono”, avoue-t-il. “C’est un peu dommage, car avec autant de coureurs qui adoptent de tels comportements, on perd l’esprit de base de nos épreuves.

On a l’impression que désormais, en enfilant une bonne paire de baskets, l’être humain a la capacité de courir durant des heures en forêt ou sur des tronçons de montagne. Christophe Jaccoud, sociologue du sport

L’émergence du trail, un dérivé de la course à pied, est particulièrement problématique en matière de santé. Partir courir en forêt ou en montagne n’est pas à la portée de tous. Et pourtant, la force de captation des réseaux sociaux, qui favorisent la diffusion de parcours ou d’endroits dans lesquels des spécialistes se sont rendus, pourrait laisser penser le contraire. “Les jeunes athlètes, voulant imiter des coureurs qu’ils ont vus sur les réseaux sociaux, ont souvent tendance à surestimer leurs forces. Ils pensent qu’il suffit d’investir dans un bon équipement pour effectuer un long parcours”, précise Hervé Solignac. “Pourtant sans une préparation idéale, il est compliqué d’enchaîner les efforts et de les supporter sans se faire mal.”

Les adeptes du trail n’ont parfois pas un équipement adapté à la difficulté de leur itinéraire. © Pexels

Cette démocratisation du trail incite des adeptes à se lancer dans des défis incensés par rapport à leurs capacités de base, ce qui a le don d’énerver Christophe Jaccoud. “Je trouve aberrant ce phénomène de mode autour du trail. On a l’impression désormais, qu’en enfilant une bonne paire de baskets, l’être humain a la capacité de courir durant des heures en forêt ou sur des tronçons de montagne”, fulmine le professeur à l’Université de Neuchâtel. “Cela correspond à la mentalité en vigueur dans notre société. On cherche toujours à dépasser ses limites et à se comparer aux autres. Cette compétition permanente incite à prendre de tels risques.”

La non-maîtrise du matériel responsable de certains accidents

Outre la course à pied, le VTT a aussi connu des bouleversements en matière de pratique. L’arrivée sur le marché des vélos électriques a changé le profil des adeptes. Cette technologie élargit les possibilités en matière d’itinéraires. La nouvelle offre de parcours peut devenir une source de problème et contribue à l’augmentation des blessures, comme le relate Mara Zenhäusern, collaboratrice du BPA. “Chez les vététistes, il y a une méconnaissance des infrastructures existantes. La population ne s’informe pas suffisamment avant de pratiquer”, explique-t-elle. 

Avec l’arrivée du E-Bike, les vététistes surestiment parfois leurs capacités en se rendant dans des endroits difficiles d’accès. © KEYSTONE/Jean-Christophe Bott


Les vélos électriques séduisent une clientèle plus âgée que les modèles classiques. Un élément qui n’est pas anodin aux yeux de Vincent Criblez, assureur. “Avec l’âge, les réflexes ont tendance à baisser. Et même s’il est plus simple de se déplacer avec un appareil électrique, il y a toujours la possibilité de tomber plus facilement qu’auparavant », souligne celui qui pratique régulièrement le VTT. “J’ai d’ailleurs vu que certains se rendent dans des endroits compliqués qu’ils ne pourraient pas atteindre avec un vélo classique. Tous ces éléments contribuent à l’augmentation des accidents.

Ainsi, en vingt ans, les accidents ont doublé dans la discipline et se sont élevés à 14 000 en 2019. Si bien évidemment la hausse n’est pas uniquement due à la commercialisation des appareils électriques, la maîtrise de ce type d’engins n’est pas offerte à tout le monde. Fabrice, vendeur de cycles à Fribourg, en Suisse, n’est pas du tout surpris par ces chiffres et la tendance actuelle. En ce qui concerne le développement technologique des VTT, selon lui, mettre sur pied des cours de formation pour maîtriser les prototypes à assistance électrique se révélerait fort utile d’un point de vue sécuritaire. Il avoue être parfois étonné par les comportements de certains clients. 

Fabrice: on est inquiet quand des clients nous parlent des tours qu’ils font


En effet, un vélo électrique peut surprendre même si l’on est une utilisatrice habituée. Simone*, qui emploie le sien tous les jours, soit pour se rendre au travail ou pour aller dans la nature durant son temps libre, en a fait l’amère expérience en juin 2022. Suite à une chute, elle a dû être hospitalisée durant quelques jours. “J’ai été surprise par la force de propulsion de mon vélo électrique. Au moment d’appuyer sur la pédale pour repartir, j’ai perdu l’équilibre et j’ai chuté”, se remémore la malheureuse. “Même si ma chute est survenue à basse vitesse, je me suis cassée deux côtes, car le guidon m’a heurté l’estomac. Comme le foie était touché, j’ai dû rester en observation durant plusieurs jours à l’hôpital de Bâle. Cet accident bénin aurait pu avoir de lourdes conséquences puisque dans ma situation un organe était touché.”

Si Simone n’a pas eu trop de mal à se remettre de sa mésaventure, les chutes peuvent avoir des séquelles bien plus importantes pour la victime. C’est notamment le cas des spécialistes de VTT de descente. Assis sur leur engin, ils n’ont pas peur de dévaler plein gaz des pistes en cailloux qui se situent en forêt. Ces comportements téméraires ont forcé à revoir les normes de sécurité en vigueur aux abords des parcours dédiés à ce sport. Par exemple, en 2021, les arbres se trouvant sur le parcours entre Bienne et Macolin, dans le canton de Berne, ont été numérotés. L’objectif est qu’un blessé puisse indiquer sa position exacte aux secours au moment de les appeler. Dans ce type d’endroits, l’hélicoptère est obligé d’intervenir.

Des pathologies plus graves chez les patients

Cette augmentation des blessures durant les loisirs a des répercussions sur les hôpitaux, comme le mentionne Grégoire Schrago, médecin à l’hôpital Daler à Fribourg. Les pathologies sont beaucoup plus sévères, notamment chez les jeunes. On remarque qu’ils sollicitent énormément leurs articulations comme les genoux ou les chevilles.” Le professionnel de santé qui exerce depuis 23 ans dans l’établissement fribourgeois remarque que les traitements liés à des blessures sportives concernent désormais autant les amateurs que les professionnels alors qu’à ces débuts, il n’opérait presque exclusivement des athlètes de l’élite. 

Selon le médecin, les progrès dans le domaine de la santé ont également une influence sur le montant total des frais médicaux liés aux accidents sportifs. La technologie joue clairement un rôle sur le montant final d’une facture d’opération. 

Grégoire Schrago: avant on n’opérait pas certaines blessures

La prévention efficace contre la hausse des coûts

En raison des risques pris par les vététistes, faudrait-il revoir la catégorisation de la discipline et l’intégrer parmi les sports à risque comme le parapente ou le motocross? Actuellement, seule la pratique du VTT de descente en compétition fait partie de cette catégorie. S’il admet qu’il est nécessaire de faire quelque chose dans ce domaine, Vincent Criblez estime qu’il est difficile de placer tous les vététistes dans le même panier.

Vincent Criblez: difficile de faire la différence entre les utilisateurs


Pour avertir les sportifs et sportives des risques de blessure, la SUVA mène des campagnes de prévention. D’après Jean-Luc Alt, la méthode a fait ses preuves pour économiser des frais médicaux. Suite à une étude de l’AISS, (réd: l’institut internationale de la sécurité sociale) on se rend compte aujourd’hui que la prévention peut être rentable. On sait qu’un franc investi en matière de prévention peut en rapporter trois, voire plus à l’entreprise qui décide de mener une campagne préventive, confie le porte-parole de la SUVA.

L’entrée en vigueur de règles simples en matière de sécurité pourrait également être une solution dans l’optique de faire baisser les coûts de la santé et précisément ceux liés aux blessures contractées durant la pratique d’une activité physique. Par exemple, Fabrice est scandalisé que le port du casque ne soit pas encore obligatoire quand on se déplace à vélo. “C’est incompréhensible que le casque ne soit obligatoire uniquement pour les utilisateurs de vélo électriques qui vont à 45 km/h. Ça me paraît complètement ridicule que les assurances continuent à payer les bobos de personnes qui ne sont pas capables d’enfiler un casque sur leur tête quand elles se déplacent à vélo”, lance Fabrice avec détermination. 

S’il n’existe aucun remède miracle pour faire fléchir la courbe des coûts des accidents sportifs et par ricochet celle des coûts des primes d’assurance maladie, appliquer des gestes simples pour renforcer sa protection comme mettre un casque en vélo ou encore à ski, pourrait être un bon début dans l’optique d’y parvenir. 200 000 accidents recensés en 2019 ce n’est pas une simple goutte dans un verre d’eau mais la preuve que des changements d’attitudes chez les sportifs et sportives sont nécessaires pour réussir à inverser la courbe.

*Prénom d’emprunt

Texte et multimédia: Laurin Petitat

                                                                                       27 avril 2023

Crédit photo d’ouverture: Pexels

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