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L’avenir de la contraception: une affaire d’hommes?

Dans une relative discrétion, la contraception s’ouvre peu à peu aux hommes, du moins aux plus téméraires. En popularisant la contraception masculine thermique, les militants espèrent envoyer un message au monde pharmaceutique qui tarde encore à proposer une solution médicamenteuse à destination de la gent masculine. 

Il y a plus de 50 ans, la pilule contraceptive entrait dans les mœurs. Une révolution médicale, mais également sociétale, qui a radicalement transformé notre rapport à la natalité et aux corps des femmes.

Longtemps symbole d’émancipation féminine, la pilule est de plus en plus critiquée pour ses effets secondaires et plusieurs voix s’élèvent pour que les hommes puissent aussi participer à « l’effort contraceptif ».

Mais en raison de l’absence de solution médicamenteuse masculine, plusieurs hommes se tournent vers des méthodes alternatives. Frédéric et Alan font parties de ces nouveaux « hommes contraceptés ».

Témoignages: pourquoi ont-ils opté pour la contraception masculine

Comme eux, de plus en plus d’hommes sont prêts à « mettre au chaud » leurs bijoux de famille en les faisant remonter grâce à un anneau ou un dispositif chauffant.

Portés par des valeurs égalitaristes, féministes ou par égard pour leur partenaire, ce sont en majorité des hommes hétérosexuels avec un niveau d’éducation élevé qui se tournent vers ce genre de démarches

Audio:  « On est surtout sur des hommes blancs cis-hétéro, entre 20 et 35 ans », Stéphanie Dupin, présidente du réseau européen pour le partage de la charge contraceptive

La contraception masculine: mode d'emploi

La méthode thermique, comment ça marche?

Théorisée dans les années huitante par le docteur toulousain Roger Mieusset, la contraception thermique par remontée testiculaire peut se réaliser de différentes manières.

Que ce soit avec un anneau en silicone ou un sous-vêtement équipé d’une bague élastique, le principe reste le même : faire passer la peau du scrotum pour faire remonter mécaniquement les testicules dans l’aine, les soumettant ainsi à une température plus élevée de 1 à 2 °.

Afin d’atteindre les seuils d’infertilité, le dispositif doit être porté au moins quinze heures par jour.

Vidéo: Martha Krüger, spécialiste en santé sexuelle, présente le fonctionnement et l’utilisation de l’Andro-Switch

Que le réchauffement soit fait par remontée testiculaire ou par un slip chauffant, il faut porter le dispositif pendant 3 mois, soit le temps d’une spermatogenèse complète, avant de pouvoir se passer d’autre moyen de contraception.

Un spermogramme permet de vérifier que la concentration en spermatozoïdes n’est plus suffisante pour procréer.

Selon les connaissances théoriques actuelles, cette méthode est réversible pendant au moins trois ans (les données sur une utilisation plus longue ne sont pas disponibles). Il est recommandé d’attendre minimum six mois après le port de l’anneau avant de concevoir un enfant.

Plus efficace que le préservatif

Plusieurs études ont été réalisées sur la contraception thermique, avec des résultats toujours satisfaisants mais portant sur des cohortes de patients réduites.

Selon les données de son concepteur, Maxime Labrit, l’Andro-Switch dispose d’une efficacité théorique de 99,6%.

Toutefois, les écarts peuvent grandement varier entre théorie et pratique. A titre d’exemple, le préservatif masculin est efficace à 98% sur le papier. Mais en pratique ce taux descend à 85%, selon les chiffres publiés par l’OMS en 2011.

Si aucun travail n’a permis de calculer l’efficacité réelle de la remontée testiculaire, les études menées en France depuis les années septante n’ont jusqu’à présent révélé qu’une seule grossesse parmi tous les couples observés. Celle-ci était due à une mauvaise utilisation du dispositif par le partenaire masculin.

Infographie: la contraception masculine parmi les moyens les plus sûrs

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Infogram

Le nombre d’utilisateurs de cette pratique est impossible à articuler, parce qu’elle ne fait que rarement l’objet d’un suivi, encore moins d’une prescription médicale.

En se basant sur les commandes en provenance de la Suisse, Maxime Labrit estime qu’il doit y avoir 1500 utilisateurs sur sol helvétique. Ils seraient plus de 10’000 en France.

Aucun cas de grossesse indésirée ou de nouveau effet secondaire indésirable n’est, à ce jour, revenu aux oreilles du créateur de l’anneau.

Retiré de la vente provisoirement

En dépit de résultats convaincants, l’anneau Andro-Switch a été retiré du marché fin 2021 en France, en attendant sa certification comme produit médical. Il reste toutefois disponible sur un site internet qui le commercialise en tant que « talisman décoratif ».

Le précieux sésame n’est pas attendu avant 2026 au plus tôt pour l’anneau « remonte-couille », qui organise une récolte de fonds pour financer le processus.

Sur le plan théorique, on dispose, à peu près, de toutes les données pour pouvoir l'utiliser. Caroline Gautier, médecin chez Profa Vaud

Et cette absence de validation légale freine les ardeurs de certains spécialistes de la santé. Caroline Gautier, médecin chez Profa Vaud s’est formée à la contraception thermique et suit avec grand intérêt le développement de nouvelles solutions destinées aux hommes

Malgré cela, elle ne propose pas la méthode thermique aux couples qu’elle accompagne.

« Sur le plan théorique, on dispose, à peu près, de toutes les données pour pouvoir le faire. Il y a des médecins qui l’utilisent en prenant leurs propres responsabilités sur le plan légal. Mais à Profa, le choix a été de dire : on sait que ça existe, on donne de l’information, mais on ne peut malheureusement pas entrer en matière et suivre des personnes à cause de l’absence de certification »,  explique la médecin du planning familial.

Un monde médical encore frileux

Une pilule masculine qui se fait attendre

Malgré plusieurs essais, aucun médicament destiné aux hommes n’a été commercialisé. En cause : les effets secondaires et le manque de moyens financiers alloués pour développer ces produits.

Pourtant, la science n’est pas en manque d’idées : pilules hormonales, injection d’un gel soluble dans le canal déférent pour bloquer temporairement l’arrivée des spermatozoïdes ou encore pilule non hormonale à base d’un dérivé de la vitamine A.

Si les recherches sont satisfaisantes et qu’elles continuent de recevoir les financements suffisant, l’une ou plusieurs de ces solutions pourraient voir le jour d’ici la fin de la décennie.

« Les industries ont intérêt à maintenir le statu quo »

Pour la docteur en science sociale Lucile Quéré, il y a un clair déficit de recherches avancées sur ces questions : « Les industries ont intérêt à maintenir le statu quo parce qu’elles retirent des profits des méthodes médicalisées de contraception. De la même manière que l’ignorance est aussi maintenue sur des méthodes non médicales de contraception. »

Du point de vue des médecins, il y a une très mauvaise connaissance de l’état de la recherche. Marion Gumowski, étudiante en médecine à l'Université de Lausanne

Elle souligne également la différence d’acceptabilité des effets secondaires entre homme et femmes, plusieurs projets de pilules hormonales masculines ayant été abandonnés en raison de leurs conséquences sur le corps et la libido. Des effets pourtant tolérés pour les produits féminins déjà sur le marché.

Ces deux freins majeurs sont également relevés par l’urologue du Centre de fertilité du CHUV, Laurent Vaucher, mais il estime surtout que la demande était jusqu’à présent trop faible pour intéresser les entreprises à explorer un nouveau marché.

En vidéo: l’andrologue du CHUV Laurent Vaucher croit en l’avenir de la contraception masculine.

Une thématique absente de la littérature médicale

Parmi les rares travaux menés en Suisse sur la question, cinq étudiants de l’Université de Lausanne ont rendu un état des lieux sur la question. Pour ce faire ils ont questionné quatorze experts du domaine, majoritairement en Suisse romande. Marion Gumowski, une des auteurs du travail, dit avoir été surprise par des réticences, voire le désintérêt de ses différents intervenants.

« Ce qui est ressorti des interviews, c’est que du point de vue des médecins, il y a une très mauvaise connaissance de l’état de la recherche. Et puis, en parlant avec des très jeunes gynécos qui ont fini leur formation cette année, la contraception masculine n’a pas été abordée une seule fois dans tout leur cursus. »

Le changement viendra du terrain

Popularisation grâce aux réseaux sociaux 

En attendant, c’est peut-être sur le terrain des réseaux sociaux que la contraception masculine progresse le plus rapidement.

Derrière des slogans tel que « porte tes couilles » ou « deviens le Seigneur de l’anneau », plusieurs militants et groupement d’hommes œuvrent pour questionner la répartition de la charge contraceptive et faire connaître les méthodes thermiques

Via @slowcontraception sur Instagram: « J’essaie d’ouvrir le débat »

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Les ressources utiles sont collectivisées sur des sites internet et des forums. Maxime Labrit, inventeur de l’anneau contraceptif et la coopérative Entrelac – qui cherche des financements pour le développement de l’Andro-Switch – œuvrent activement pour créer des comités d’utilisateurs et essaimer partout en Europe.

Partage de la « charge contraceptive »

L’enjeux pour ces militants n’est pas tant de convaincre que leur méthode est la meilleure, mais avant tout de thématiser le concept de la répartition de la « charge contraceptive ».

Au fil des mois, leur nombre augmente et de plus en plus d’hommes se présentent aussi dans les plannings familiaux pour être accompagnés dans leurs démarches.

Pour répondre à cette demande, l’Université de Genève a lancé début juin une étude pour améliorer le suivi des hommes qui utilisent la contraception par remontée testiculaire.

Dirigée par la doctoresse des HUG, Sara Arsever, l’étude suivra durant plus d’une année une cinquantaine d’homme désireux de se lancer dans le processus. Un examen urologique préalable et des spermogrammes de contrôle régulier seront réalisés pour assurer un suivi irréprochable.

Les résultats sont attendus d’ici 2025, et devraient permettre à Profa ou d’autres plannings familiaux de disposer de ressources et d’un protocole adapté pour accompagner les hommes qui souhaiteraient recourir à ces méthodes.

En vidéo: « Je ne pense que ça ne sera jamais un moyen de contraception qui sera adopté aussi largement que la pilule ou le préservatif »

Texte: Robin Jaques
Vidéos : Robin Jaques et Lara Donnet
Photo de une:  Vladislav Chusov/Depositphotos
Photos: Robin Jaques, DR/Thoreme
Publié le 14.09.2023

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